johnnyalasti

Les chasseurs (Chapitre 3)

Chapitre 3 – Fred

 

 

C’est une douleur lancinante qui l’assaille brutalement lorsqu’il se réveille couché au milieu des feuilles alors que la nuit est déjà tombée. Un sifflement aigu et strident l’assaille comme si toute une armée napoléonienne lui était passée dessus. Comme si les balles sifflaient partout autour de lui. Fred se redresse sur les genoux et se palpe la tête d’une main hésitante puis pousse un hurlement de terreur en sentant que la plupart de son oreille droite a été arrachée. Il manque de défaillir à la vue de sa main noire de sang poisseuse. L’anneau d’argent qu’il porte au lobe y est encore accroché. L’état de choc dans lequel il se trouve l’empêche de bien penser, aussi ne parvient-il pas à comprendre ce qui a bien pu se passer pour qu’il se retrouve là et dans cet état. Tout est confus dans sa tête. La dernière chose dont il se rappelle est qu’il était en train de rejoindre les autres en suivant l’hallali. Puis plus rien. Le trou noir. C’est en posant ses mains sur le sol de part et d’autres de ses jambes pour se relever qu’il touche quelque chose de mou et de cartilagineux. Pas besoin de lumière pour savoir que c’est toute la partie supérieure de son oreille qu’il sent sous ses doigts. Ne sachant qu’en faire mais avec la vague idée qu’on pourrait lui recoudre, il la met dans la poche de sa veste et se relève d’un seul coup ce qui n’a pour effet que de lui donner le tournis. Il ramasse ensuite son fusil encore chargé. Fred ne connaît pas bien les bois mais il voit au loin un petit point lumineux vers lequel il décide de se diriger.

En chemin, une idée lui vient. Tellement logique qu’il se méprise de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il palpe nerveusement la poche gauche de son jeans mais son téléphone ne s’y trouve plus. La lumière qu’il suit bouge dans tous les sens et lacère sauvagement l’obscurité. Il peut la voir se rapprocher. Il essaye d’appeler à l’aide mais sa bouche est tellement sèche que sa voix s’étrangle. Il se sent faible comme un nouveau-né mais continue pourtant d’avancer porté par une force inconnue. Il est en pilote automatique.

Arrivé à la lisière du bois, il s’arrête soudainement. Une voiture vient de s’arrêter un peu plus loin. Il la connaît cette caisse, c’est celle de Alain. Il écarquille les yeux le plus possible et observe le petit manège qui se déroule devant lui. Alain est en train de dérouler quelque chose qu’il étale dans son coffre mais Fred ne parvient pas à discerner de quoi il s’agit. Il s’apprête à aller vers son ami se croyant déjà sauvé lorsqu’une pensée subite le retient. Qu’est qu’il peut bien venir foutre Alain à cette heure-ci dans les bois ? Et tout seul de surcroit. C’est louche et ça lui tournicote dans tous les sens dans la boussole. Les vertiges reprennent. Il décide donc de se reculer un peu et de continuer de l’observer. Il le voit alors s’enfoncer dans les bois et passer à quelques mètres de lui. Alain à l’air de savoir où il va. Fred, intrigué, décide de le suivre discrètement afin de savoir où il va même si au fond de lui il a déjà la réponse à cette question qui commence à lui faire monter la colère par bouffées inextinguibles. Et il n’est pas détrompé lorsqu’il voit qu’Alain retourne pile à l’endroit où il s’est réveillé il y a tout juste quelques minutes. Le timing est parfait. On peut dire qu’il l’a échappé belle. Un peu plus et le funeste travail était terminé. L’adrénaline qui commence à se diffuser dans ses veines lui fait oublier la douleur et la peur. Il essaye de respirer profondément pour se calmer. Pourquoi Alain aurait-il fait ça ? Ils se sont pourtant toujours appréciés et ont eu plusieurs fois l’occasion de se fendre la gueule. Lui aurait-il tiré dessus ? Il ne comprend pas. Il réfléchit à toute vitesse et toutes sortes de scénarios plus improbables les uns que les autres lui traversent l’esprit. Alain n’a pas l’air d’être armé. Lui a son fusil. Mais il n’en aura pas besoin. Fred est jeune et baraqué, tout le contraire d’Alain. Cette sale engeance sournoise qui l’a tiré de loin et dans le dos comme un sale traitre ne mérite qu’un bon vieux corps à corps.

Il s’est rapproché suffisamment de lui, il n’est plus qu’a une dizaine de pas et n’a maintenant plus aucun doute en observant le comportement désespéré de son presque tueur. Fred parcoure la distance qui le sépare encore de son bourreau et lui tape sur l’épaule. Alain tressaute et pousse un cri dont même une gonzesse aurait honte. Il lui fait face et n’a pas le temps de voir venir le crochet du droit qu’il se prend à toute vitesse dans la tronche. Il accuse le coup en s’écrasant au sol. Fred attend qu’il amorce un mouvement pour se relever et lui balance un puissant coup de pied dans les côtes. Il hurle de rage à la face de l’autre qui ne prononce pas un mot.

« Pourquoi t’as fait ça hein? Je pensais qu’on était potes ! Espèce de vieillard de mes deux ! Tu crois qu’on m’baise comme ça ou quoi ? Tu sais qui j’suis ? Putain de merde ! Regarde mon oreille enfoiré ! Regarde ! Tu l’as dans le baigneur ! » gueule t-il en désignant son organe atrophié.

Et il continue à le rouer de coups ardents, malade frénétique qui ne parvient plus à s’arrêter et qui pose seulement des questions pour la forme.

Alain est au sol en position fœtale et se cache le visage avec les mains. Il crie, il pleure, il sanglote des excuses déplacées d’une voix chevrotante et pitoyable du dégueulasse qu’il est. Il supplie, implore la bonté, prétextant que tout ça n’était qu’un malheureux accident, qu’il ne l’a pas fait exprès, que le coup est parti tout seul.

« Alors pourquoi tu n’es pas venu voir si j’allais bien directement ? Pourquoi tu ne reviens que maintenant au beau milieu de la nuit et sans aucun secours ? T’es vraiment qu’une merde ! Tu m’dégoutes ! La voilà ton extrême-onction mon salaud ! » dit-il tout en continuant à le frapper de plus belle, de toute ses forces, de tout ce qu’il a laissé enfoui trop longtemps à l’intérieur, de toute la rage latente qu’il n’a pas laissé sortir ces dernières années. Il lui fait payer le prix de toutes ses bontés, de ses gentillesses et de ses faiblesses. Il le rosse encore et encore. Il n’entend même plus les atroces supplications de l’autre qui tourne larve et continue de lui infliger une punition exemplaire. Fred s’acharne encore un moment avant de se rendre compte que l’autre a arrêté ses suppliques et qu’il ne bouge plus d’un poil. Encore écumant de rage, il se penche sur le corps d’Alain et lui prend le pouls comme déçu qu’il ne serve plus à rien de lui en mettre encore dans le sac. Il ne respire plus. Ce n’est plus rien d’autre qu’un morceau de viande édentée, habillée, chaude et saignante dont il va lui falloir se débarrasser. Fred réfléchis un moment et tout de suite la solution lui vient. La voiture d’Alain. Tout y est déjà prêt pour embarquer un corps. Il fait les poches du macchabée et en sort les clés. Il le traine ensuite jusqu’à la 207 et le fous dans le coffre. Il réfléchit un moment à ce qu’il va faire du corps et de la voiture en essayant de garder la tête froide. Il ne peut pas le laisser ici. On risquerait de le retrouver trop vite. Il pense plus vite que son ombre. Tout se met en place dans son esprit d’une efficacité redoutable. Il n’a rien qui le retient ici à part ses potes de la chasse qui apparemment cachent bien leur jeu. Il n’a pas de boulot, pas de copine, pas de chaine à boulet qui lui enserre la cheville. Il décide donc de passer chez lui vite fait bien fait prendre quelques affaires et de se tirer fissa de la région. Il a déjà sa petite idée.

Il choisit de rouler vers Solferino, le village où se trouve la plus grande aire de stockage de bois en France. Merci Matthieu. Pour une fois que ce petit prétentieux fantasque sert à quelque chose d’autre qu’à rendre fou. D’ailleurs, en y repensant, c’est lui qui avait insisté pour qu’il l’accompagne ce matin dans les bois. Est-ce qu’il savait ce qui se passerait ?

Arrivé sur place, il coupe le moteur, et sort sa pince coupante et sa lampe torche de la boite à gants. Il se crée facilement un passage à l’intérieur de l’aire de stockage. Il revient ensuite cherche les bidons d’essence puis le corps. Il balance tout ça, s’écarte un peu et allume le tout.

C’est un immense brasier dont les flammes dansent jusqu’au ciel et qui en lèche avidement les nuages lorsqu’il regarde dans le rétroviseur en s’éloignant à toute pompe vers l’aéroport. En une heure il y serait. Il abandonnerait la voiture quelque part non loin de l’aéroport. Suffisamment d’argent en poche pour se mettre au vert un moment. Il serait alors toujours temps de se trouver une belle petite destination au soleil. Porto, Tunis, Belgrade, Moscou, Istanbul, Athènes…et tellement d’autres endroits à découvrir. Il n’avait que l’embarras du choix.



27/02/2013
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